mardi 8 janvier 2013

Réponse à Marisol Touraine au sujet des dépassements d'honoraires


J'avais écrit au Président de la République pour protester contre les dépassements d'honoraires des médecins qui rendent l'accès aux soins pour tous de plus en plus problématique.


C'est Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ou plus exactement son chef de cabinet qui me répond. Sans surprise, cette lettre ne répond pas aux attentes des assurés sociaux. Du coup j'en remets une couche.
Il faut savoir que pour écrire au ministres comme au président de la République on n'est dispensé de timbrage. J'engage donc les salariés à utiliser et même à abuser de ce moyen. On peut pour cela utiliser ma lettre et/ou la reprendre à son compte si ça convient.

Michel Cialdella
ex-administrateur de la CPAM de Grenoble.
6, rue Joseph Bertoin - 38600 Fontaine



Madame Marisol TOURAINE
Ministre des affaires sociales et de la santé.
14 avenue Duquesne.
73 350 Paris SP.
http://www.social-sante.gouv.fr/

Fontaine, le 7 janvier 2013



Madame la Ministre.

Merci d'avoir bien voulu répondre, par l'intermédiaire de votre chef de cabinet, à ma réaction indignée au sujet des dépassements d'honoraires. Cependant votre lettre ne répond pas aux besoins des assurés sociaux notamment aux 30 % qui renoncent à des soins pour des raisons financières.

Vous écrivez : « le gouvernement, ainsi qu'il s'y était engagé, a souhaité mettre fin aux dépassements abusifs d'honoraires des médecins et encadrer leur évolution ». Or, dépassements abusifs est un pléonasme. C'est le fait de dépasser qui est abusif, d'autant plus que même en respectant les tarifs opposables il y a un reste à charge de plus en plus insupportable pour les patients les plus modestes et cela vient s'ajouter aux diverses franchises dites « médicales » que, me semble-t-il, votre parti a condamnées lorsqu'il était dans l'opposition.

Vous prétendez encadrer leur évolution, mais ça n'est pas de cela dont nous avons besoin. Vous avez renoncé à faire une loi qui améliorerait le code de la sécurité sociale. Vous savez très bien que les médecins les plus cupides ne respecteront pas l'accord.

Vous évoquez les négociations qui ont été menées par l'assurance-maladie, les syndicats de médecins et organismes complémentaires. Où sont les véritables représentants des assurés dans cette négociation ? L'assurance-maladie étant représentée par son directeur général (nommé par Philippe Douste-Blazy qui a fait la loi permettant la privatisation de la sécurité sociale). Le directeur général n'a pas la légitimité, même si c'est légal, de représenter les assurés sociaux notamment les salariés.

Toujours selon vous cet accord ouvre droit aux personnes bénéficiant de l'aide complémentaire santé à des soins sans dépassements d'honoraires. Il y a là quelque chose d'étrange, dans le fait que la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie finance sur ses fonds des complémentaires de santé très inégalitaires… Pour bénéficier de cette aide les conditions de ressources sont de 892 euros mensuels pour une personne, c'est-à-dire en dessous du seuil de pauvreté qui s'établit en 2012 à 954 euros mensuels selon l'INSEE. Pour une étude du Secours Populaire il est à 1062 euros. En effet aux yeux des Français on est pauvre si on touche 1062 euros soit un montant inférieur au SMIC qui est de 1118 euros depuis le 1er juillet 2012. Nous constatons aisément que cela limite le nombre d'éligible à l'ACS. Lorsque l'on connaît le montant de l'aide, c'est-à-dire :

- 100 € pour les personnes âgées de moins de 16 ans.

- 200 € pour les personnes âgées de 16 à 49 ans

- 350 € pour les personnes âgées de 50 à 59 ans.

- 500 € pour les personnes âgées de 60 ans et plus.

On comprend que cela ne suffise pas. Dans le même temps, on constate que 27 millions € soient inutilisés chaque année et 378 millions € depuis sa mise en place (source le rapport de l'observatoire des non-recours aux droits et services "ODENORE").

Vous m'informez qu'en cas de difficultés financières, les organismes d'assurance-maladie ont la possibilité d'octroyer des aides sur leurs crédits d'action sanitaire et sociale. Ayant été de 1991 à 2004 administrateur et de 2004 à 2009 conseiller à la CPAM de Grenoble, je connais un peu le fonctionnement de l'institution. J'ai siégé à la commission d'Action Sanitaire et Sociale et je sais que l'enveloppe est insuffisante et en constante diminution alors que la population dans le besoin augmente. À l'origine cette commission avait été créée pour faire face aux situations qui n'étaient pas prévues dans la gestion du risque et aux situations particulières à chaque caisse. Au fil des années sous les gouvernements successifs de droite comme de "gauche", c'est devenu un système de charité contraire à la vocation de la sécurité sociale qui organise la solidarité. De ce point de vue la CMU n'est pas une avancée, car elle instaure à l'intérieur de la sécurité sociale une sécurité sociale pour les pauvres. Avec l'instauration du panier de soins, elle préfigure ce que risque d'être, si nous n'y prenons garde, la sécurité sociale rabougrie de demain avec une couverture minimale pour tous et des complémentaires pour ceux qui en ont les moyens. Je n'invente rien, car la CMU était prévue dans le plan Juppé avec la conception ci-dessus rappelée.

De plus, avant la création de la CMU, existait au niveau des Conseils généraux une aide. Et pour une douzaine de départements, cette aide était plus importante. L'instauration de la CMU n'a donc pas apporté grand-chose du point de vue de l'accès aux soins. Le seul intérêt étant qu'elle était gérée par les caisses d'assurance-maladie.

Ayant déjà un peu d'ancienneté dans la défense de la sécurité sociale et aussi dans la vie… Je rappelle qu'à l'exception de 1983 date des dernières élections à la sécurité sociale, la gauche socialiste n'a fait qu'entériner les réformes de la droite !

En 1983 le mandat des administrateurs est de 6 ans. Ce qui signifie que des élections doivent avoir lieu en 1989. Le gouvernement Mitterrand-Fabius choisit de renouveler pour deux ans les Conseils d'administration des caisses. C'est en 1991 que sur la base des élections de 1983, je suis désigné comme administrateur par mon organisation syndicale, la CGT, pour 2 ans en attendant des élections. De report en report arrivent les ordonnances Juppé (qui ont mis du monde dans la rue) qui rétablissent le paritarisme et suppriment les élections. En 1997, la gauche "plurielle" remporte les élections et Jospin devient premier ministre. Il entérine les ordonnances Juppé et organise des déremboursements. À aucun moment les propositions des députés communistes ne sont prises en compte. Je me souviens de Martine Aubry qui renvoyait chaque fois le débat au prochain budget.

En 2004 la loi Douste-Blazy étatise en transférant des prérogatives des Conseils aux directions et particulièrement au directeur général de la CNAMTS qui a les quasi pleins pouvoirs. Les Conseils d'Administration sont remplacés par de simples Conseils où les représentants des salariés sont minoritaires : 13 patrons, 13 syndicalistes et 9 "représentants" d'institutions par ailleurs très respectables, mais qui n'ont pas vocation à gérer le salaire socialisé (ils étaient les 4/5 jusqu'en 1967)…. Dans le même temps, elle fait entrer les assurances privées dans une Union des Organismes Complémentaires d'Assurance Maladie (UNOCAM) qui peuvent participer à la fixation de remboursements.

Aujourd'hui les socialistes ont tous les pouvoirs, il faut écouter Gérard Filoche qui, lors du congrès du PS, en présence de ministres gênés déclare :

" Nous devons donc abroger les ordonnances de Pompidou de 1965 et ce qui reste de la loi Juppé de 1995. C'est le retour au contrôle légitime par les salariés de la partie mutualisée de leur salaire. Une vraie révolution, un vrai progrès.

En même temps qu'on va hausser les salaires, on remettra du même coup à flots les caisses de protection sociale, car c'est le blocage des salaires qui les met en difficulté. On restaurera une protection sociale démocratique non étatisée. Pourquoi les libéraux qui veulent toujours moins d'États sont-ils aussi acharnés à «étatiser» la Sécu?

Il faut baisser le coût du capital, pas du travail. Il faut déplaire aux banques et aux officines de notation, et non pas devancer leurs ordres".

PROPOSITIONS

Pour terminer, et parce que je pense que vous choisissez mal vos conseillers (regardez un peu plus à gauche), voici quelques suggestions qui permettraient d'améliorer et pas qu'un peu la situation de la Sécurité sociale.

Le progrès social va de pair avec la démocratie. Il faut donc rétablir les élections à la sécurité sociale à la proportionnelle sur liste syndicale, avec une majorité pour les représentants des salariés. Ce qui est justifié par le fait qu'il s'agit d'un salaire indirect et socialisé. De ce point de vue seuls les salariés sont habilités à gérer leur salaire. Les employeurs peuvent y avoir une place très minoritaire avec un seul pouvoir de contrôle. Quant aux diverses associations intervenant dans le domaine de la santé, elles ont leur place dans une structure pour faire remonter les besoins. Quant aux assurances privées et aux mutuelles, elles n'ont rien à faire dans la gestion à quelque niveau que ce soit de la Sécurité sociale. Il faut rétablir de réels pouvoirs de gestion aux Conseils d'administration démocratiquement élus.

Il faut faire entrer dans l'assurance-maladie tout ce qui concerne le handicap, la gestion de la perte d'autonomie.

Ceci en conformité avec les principes de la sécurité sociale en vigueur (théoriquement) encore aujourd'hui à travers l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale et qui stipule que : « l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale. Elle garantit les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptible de réduire ou de supprimer leur capacité de gain ».

Il faut d'abord que la santé soit l'objectif. Pour cela il convient de développer la prévention (comme cela était prévu à l'origine) au plus près des assurés. Pour cela il faut arrêter la suppression des CPAM et des centres de paiement. Les rétablir en proportion de la population. En renforçant les conseils médicaux de la sécurité sociale et les faire évoluer vers une activité de prévention. Une prévention conçue pour l'amélioration de la santé avant le souci d'économie. Et tant mieux si on en fait. Si l'on en croit l'OMS, 40 % des cancers seraient évitables ! Cela vaut la peine de s'occuper de l'environnement. Les conditions de travail source de stress, de troubles musculo-squelettiques (première cause de maladie professionnelle) constituent un extraordinaire gâchis humain et financier.

Tout cela suppose des moyens financiers. Voici quelques pistes :

En 2011, les revenus financiers des entreprises représentent 318,2 milliards d'euros. En faisant cotiser au même taux que les cotisations d'entreprise, cela ferait rentrer dans les caisses de sécurité sociale :

41 milliards pour l'assurance-maladie, 26 milliards pour les retraites, 17 milliards pour la famille soit 84 milliards d'euros. Auxquels on peut ajouter la suppression des 31 milliards d'exonérations de cotisations sociales dont on sait qu'elles sont inefficaces. Faire cotiser les stock-options rapporterait 3 milliards selon la Cour des Comptes. Faire cotiser les revenus non salariaux rapporteraient 6 milliards. C'est 124 milliards d'euros que l'on peut récupérer avec une volonté politique.

Il est évident qu'à terme il faudra supprimer les stock-options et les revenus non salariaux. Fixer un revenu maximum qu'il faudrait négocier avec les acteurs sociaux. Il me semble qu'une hiérarchie des salaires de 1 à 6, avec un Smic à 2000 € donnerait un maximum de 12 000 € un somme avec laquelle, j'imagine, on doit pouvoir vivre confortablement. Je ne peux que l'imaginer car avec nos deux retraites, mon épouse et moi-même atteignons tout juste 1700 euros mensuels…

Cela peut être fait très rapidement. Mais plus fondamentalement la solution passe par une augmentation très importante des salaires notamment ceux des grilles des statuts et des conventions collectives. Entendons les vrais salariés.

Des économistes, hétérodoxes constatent que la part des salaires dans le PIB a reculé de 10 % depuis les années 1982. En redonnant aux salaires cette part on leur a extorqué c'est quelque 199 milliards d'euros qui repasseraient du capital aux salariés (sans toucher aux investissements) procurant ainsi 79 milliards de ressources supplémentaires pour les trois branches de la sécurité sociale. Excusez du peu. Cette brève démonstration permet d'affirmer que le financement de la Sécurité sociale est avant tout un problème politique.

Je vous prie d'agréer, Madame la Ministre, l'expression de ma considération distinguée.

Michel CIALDELA





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